Six mois après les premiers transferts de compétences et de ressources par l’Etat aux régions et communes, les principaux acteurs impliqués dans cette gigantesque opération se rendent compte que ce n’était pas une sinécure, tant le champ de compétences dévolues aux collectivités territoriales décentralisées est vaste et complexe : planification, urbanisme, aménagement du territoire, culture, sport et loisirs, sans omettre les autres attributions ayant trait à des questions de fonctionnement interne de l’administration (vote du budget, approbation des comptes de gestion et administratif et autorisations diverses). Si leur tâche est attrayante, elle est également pleine de défis et de pièges.
Voilà certainement ce qui a poussé le Ministère de l’Administration territoriale et de la Décentralisation, en partenariat avec la coopération française, la coopération technique allemande, le Fonds d’équipement et d’intervention intercommunale (FEICOM), le Programme national de développement participatif (PNDP), et le Centre de formation pour l’administration municipale (Cefam) à organiser ce séminaire national consacré à la gestion des compétences et des ressources de première génération transférées aux communes et communautés urbaines depuis le premier janvier 2010. Le but recherché est que les collectivités locales décentralisées aient effectivement les moyens de leurs actions, mais aussi les conditions de vie des populations aillent en s’améliorant.
Au cœur même du processus de décentralisation dans lequel notre pays est irréversiblement engagé depuis une quinzaine d’années, le transfert de compétences et de ressources de l’Etat aux collectivités territoriales décentralisées doit se faire de manière concrète et dans des conditions susceptibles d’améliorer notablement les conditions de vie des populations. Personne ne doit donc s’étonner que cette opération fasse, comme c’est le cas actuellement, l’objet d’une attention particulière de la part des pouvoirs publics. On ne compte plus le nombre de séminaires, colloques, comités interministériels, et autres conseils qui se sont tenus à cet effet au cours de ces douze derniers mois. C’est que la décentralisation est désormais irréversible. Avant, les élus locaux avaient alors beau jeu d’invoquer le sempiternel problème de pénurie de moyens. Avec le transfert effectif des compétences et des ressources dans un semestre, ils n’ont plus la moindre excuse. Ils sont même fiers de présenter à leurs électeurs les premiers fruits de cette grande opération impliquant 360 communes, dix-sept communautés urbaines et une trentaine de départements ministériels.
Décentralisation: Ce qui se fait dans les communes
Depuis janvier 2010, pour parler comme au Cameroun, les maires sont en haut ! Le transfert des compétences et des ressources est effectif. En février de l’année en cours, des décrets du Premier ministre ont fixé les modalités d’exercice de certaines compétences transférées par l’Etat aux communes. Un autre texte a fixé la répartition de la dotation générale de la décentralisation au titre de l’exercice budgétaire 2010. On peut être d’accord avec les spécialistes que les transferts ont donc déjà été opérés sur le plan juridique par ces actes. Il reste que ce transfert s’accompagne par des moyens financiers conséquents prévus dans le budget de l’Etat. Pour l’instant, le ministère de l’Agriculture et du Développement rural, le ministère de l’Elevage, des Pêches et des Industries animales, le ministère de l’Eau et de l’Energie, le ministère des Travaux publics, le ministère de la Santé publique, le ministère des Affaires sociales, le ministère de la Promotion de la Femme et de la Famille, le ministère de la Culture et le ministère de l’Education de base sont concernés par les transferts de première génération.
En termes clairs, ces neuf départements ministériels ont cédé leurs compétences aux communes en matière de promotion des activités de production agricole et de développement rural, de promotion des activités d’élevage et de la pêche, d’alimentation en eau potable, d’entretien des bacs, des routes rurales non classées, de cantonage des axes bitumés, de construction, d’équipement, d’entretien et de gestion d’écoles, de centres de santé intégrés. L’organisation au niveau local des journées culturelles, l’entretien et la gestion des centres de promotion de la femme participent également de ce transfert. Il est donc question ici de donner aux délégués du gouvernement et aux maires les moyens de concourir à l’amélioration des conditions de vie des populations. Mais depuis cette grande avancée en matière de développement local, les questions fusent. Le gouvernement n’est-il pas en train de piéger les maires ? Les élus locaux ont-ils le confort requis pour gérer toutes ces compétences? Le transfert est-il effectif dans les communes? Le séminaire national sur la gestion des compétences de première génération transférées aux communes qui se déroulent en ce moment à Garoua permet de faire le point.
Ici et là, les ministères ont bougé. Même s’ils n’ont pas fait le mouvement partout avec la même intensité. Toujours est-il que les gouverneurs de région, les délégués du gouvernement et les maires ont reçu les cartons. Et cette évolution apporte son lot de pesanteurs. Incompréhensions entre le rôle des TPG et des receveurs municipaux, difficulté pour certains maires de suivre les procédures de passation des marchés… Des questions abordées à Garoua dans les ateliers stratégiques. Le plus important c’est que les compétences et les ressources ont été transférées. Mais les maires font été de ce que les cahiers de charges, sorte de tableau de bord de compétences aux communes concernées, restent attendues. A côté de cela, il y a le volet budgétaire. Tous les maires n’ont pas encore reçu les dotations correspondant à ce transfert. Et sans cela, le transfert est rarement effectif. Il est donc question en ce moment de faire en sorte que les moyens prévus dans le budget de l’Etat parviennent aux maires pour que les populations ressentent véritablement les bienfaits du développement local. Les services déconcentrés des ministères concernés et les préfets vont donc être sollicités. Il est question que tout le monde s’implique. Une lenteur à quelque niveau que ce soit pouvant ralentir le processus. C’est tout le sens des formations actuellement engagées par le Minatd.
Décentralisation: Appropriation effective
Les lois d’orientation du 22 juillet 2004 relatives à la décentralisation, conformément aux dispositions de la constitution du 18 janvier 1996, en font ressortir les deux objectifs majeurs. Selon ces textes, la décentralisation au Cameroun vise, en premier lieu, l’approfondissement du processus démocratique par une adaptation de l’administration aux objectifs et aux exigences du pluralisme en vue de permettre la promotion d’une démocratie locale. En second lieu, au plan économique, elle a pour but la promotion du développement local et régional à travers l’émergence d’initiatives par les différents acteurs ainsi que la mise en place d’un cadre de développement défini à partir des préoccupations, des ressources, des innovations et du savoir faire des populations locales. Les enjeux pour la démocratie et le développement socio-économique au plan local sont donc importants. La bonne compréhension de ces enjeux et leur appropriation effective par les différents acteurs conditionnent en grande partie l’avenir et le succès des collectivités territoriales décentralisées et partant l’amélioration des conditions de vie des populations concernées.
C’est dans la perspective de cette appropriation indispensable pour tendre vers les objectifs visés avec le maximum d’efficience et d’efficacité que les pouvoirs publics organisent des séminaires d’information et de formation à l’attention de tous les acteurs concernés : autorités administratives, élus locaux, journalistes, personnels des collectivités territoriales décentralisées.. Ces séminaires tiennent compte, bien évidemment, de l’effectivité du transfert d’un certain nombre de compétences aux communes et aux communautés urbaines depuis le 1er janvier 2010. L’on peut citer par exemple l’alimentation en eau potable dans les zones non couvertes par le réseau public de distribution de l’eau concédé par l’Etat ; la création et l’entretien des routes rurales non classées, ainsi que la construction et la gestion des bacs de franchissement ; l’attribution des aides et des secours aux indigents et aux nécessiteux…. Le transfert des compétences s’est accompagné du transfert des ressources financières, ainsi que des moyens matériels et humains. Le but ultime, comme le rappelle opportunément le ministre de l’Administration territoriale et de la décentralisation, est d’offrir une meilleure prestation des services communaux aux populations.
Il est sans doute tôt de faire une évaluation exhaustive de la nouvelle donne ainsi que des prestations déjà servies. Cependant, l’analyse des écueils observés depuis la mise en œuvre du transfert des ressources et des compétences révèle que la décentralisation sera un apprentissage méthodique pour tous les acteurs.
Marafa Hamidou Yaya: «Le développement local est l’affaire de tous les Camerounais»
Marafa Hamidou Yaya, ministre d’Etat, Ministre de l’Administration territoriale et de la Décentralisation, explique.
Six mois après les premiers transferts des compétences aux communes et aux communautés urbaines, un séminaire national sur la gestion des compétences de première génération vient d’être lancé à Garoua. Qu’est-ce qui justifie ces assises ?
Effectivement, comme vous le dites, nous avons ouvert lundi dernier à Garoua, le séminaire national sur la gestion des compétences et des ressources de première génération transférées par l’Etat aux communautés urbaines et aux communes. Cette activité s’inscrit dans le large cadre de la mise en œuvre du processus de décentralisation. Elle rentre davantage dans l’application du plan de formation élaboré par le ministère de l’Administration territoriale et de la Décentralisation et validé par l’ensemble des partenaires et toutes les autres parties prenantes. Le séminaire national en cours s’adresse à l’ensemble des acteurs impliqués directement dans la gestion des compétences et des ressources transférées par l’Etat aux communautés urbaines et communes. Ensemble, ils discutent de la philosophie de base qui sous-tend notre processus de décentralisation, avec un accent particulier sur les mécanismes d’exercice optimal des transferts des compétences et des ressources. Les séminaristes devront également appréhender, au terme de ces assises, la nouvelle organisation des services communaux, ainsi que celle des services chargés de la tutelle de l’Etat sur les collectivités territoriales décentralisées.
Au final, les acteurs de la décentralisation vont mieux comprendre l’esprit et la lettre des textes sur les transferts des compétences et des ressources et aussi, procéder à une évaluation à mi-parcours de l’exercice des premiers transferts. L’ultime résultat recherché est une bonne gestion des ressources transférées en compensation des compétences nouvelles pour une amélioration des conditions de vie des populations à la base.
Que peut-on attendre de cette formation en ce qui concerne l’amélioration du fonctionnement des exécutifs communaux ?
Bien que transversale, la formation en cours place les exécutifs communaux au cœur de nos préoccupations. L’amélioration que vous évoquez est un des objectifs majeurs visés par le cycle de formation ainsi ouvert. En effet, dans un contexte marqué par de nombreuses mutations, la formation des élus locaux est l’une de nos priorités. Nous pouvons d’ores et déjà vous dire que cette activité va être constante et croissante. Elle ira de pair avec les contrôles tant préventifs que répressifs. Cela dit, il ne s’agit pas de poser que les exécutifs communaux travaillent mal jusqu’ici. Ce qu’il faut retenir plutôt, c’est que la mise en œuvre de la politique de décentralisation, en raison de nombreux changements qu’elle implique, cette politique disions-nous, exige de ses acteurs principaux, des adaptations continues et permanentes.
Par voie de conséquence, les élus locaux vont nécessairement tirer un meilleur parti de ces formations, grâce aux enseignements qu’ils vont recevoir et aux échanges d’expériences qui marqueront leurs travaux en ateliers. Ayant des capacités ainsi renforcées, ces catalyseurs du développement local vont mieux servir leurs concitoyens qui les ont élus.
Les fruits de la mise en œuvre effective de la décentralisation sont-ils déjà perceptibles au niveau des populations ?
Dans nos deux précédentes réponses, nous vous avons régulièrement affirmé que l’ensemble des efforts déployés dans le domaine de la décentralisation visent, comme but ultime, une meilleure prestation des services communaux en faveur des citoyens-électeurs. La mise en œuvre de la politique de décentralisation, impulsée par le président de la République, Son Excellence Paul Biya, est une opportunité à saisir par l’ensemble des acteurs nationaux. Nous n’hésitons pas à le dire à la suite du président de la République, qu’il s’agit fondamentalement de « donner aux Camerounais, au niveau local, la possibilité d’être associés à la gestion de leurs propres affaires».
Les fruits auxquels vous faites allusion, sans être suffisants, sont déjà perceptibles sur le terrain. Nous en voulons pour preuve les divers projets déjà exécutés ou en cours d’exécution par les municipalités à travers le territoire national. Cette tendance est appelée à monter en puissance pour le plus grand bien des populations.
Après les transferts des compétences de première génération, que prévoit l’agenda pour ce qui est des transferts de la deuxième génération ?
Avant de parler de la deuxième génération des transferts des compétences et des ressources, il nous semble qu’il importe d’abord d’évaluer l’exercice des premières compétences et des ressources transférées. Le séminaire en cours nous permet dès lors d’amorcer cette évaluation, tout au moins à mi-parcours. Nous devons répondre ensemble aux questions que l’exercice des premiers transferts pose sur le terrain. Ces questions tournent essentiellement autour des mécanismes de l’exécution financière concrète des transferts, les cahiers de charges pour l’exercice des compétences, l’utilisation des personnels des services déconcentrés de l’État par les communautés urbaines et les communes, la tutelle de l’État, et bien d’autres questionnements. Des réponses appropriées à toutes ces interrogations sont indispensables pour la confection sereine de la deuxième génération des transferts. Nous pouvons juste vous rassurer que le Comité interministériel des services locaux et le Conseil national de la décentralisation travaillent déjà dans le sens de votre préoccupation.
Armand ESSOGO, Cameroon Tribune, 8 juillet 2010