3 774 591 224 FCFA, soit l’équivalent de 5 754 327 €!!!

C’est ce que coûterait la réalisation des infrastructures électriques (hard) pour la réhabilitation, l’extension et la densification du réseau à l’échelle du Département des Hauts-Plateaux, entre 2011 et 2022. Soit 11 années pour atteindre la généralisation de l’accès à l’électricité, sur la base d’un rythme raisonnable de nouvelles électrifications chaque année.

Tel est le résultat de l’étude de planification territoriale de l’électrification rurale menée à l’échelle du Département des Hauts-Plateaux par CODEA (Communes et Développement en Afrique, www.codea-france.org), l’APADE (Association Panafricaine pour le Droit à l’Energie, www.apade-asso.org), le CC Djemgheu (Comité de Concertation du Village Djemgheu à Baham) et le Bureau d’études camerounais EED (Etudes Engineering et Développement, www.eedsarl.com) au courant de l’année 2009, en collaboration avec les Communes de Baham, Bamendjou, Bangou et Batié.

Ce plan d’électrification rurale propose un phasage en deux grandes périodes :

  • Dans la perspective de l’atteinte des OMD dans le Département, une première période entre 2011 et 2013 de mise en œuvre d’un Programme d’Investissements Prioritaires (PIP), ciblant principalement les localités identifiées comme pôles de développement du Département. Sur les 232 « quartiers » que compte le Département, il s’agit de 57 localités à fort potentiel économique et social, sélectionnés et hiérarchisés sur la base de méthodes rigoureuses d’analyse des dynamiques spatiales reposant sur des enquêtes de terrain. Ces pôles de développement concentrent à la fois les meilleurs équipements sociaux (éducation, santé, chefferie, lieux de cultes, etc.) et les plus importantes opportunités de création d’emplois et de revenus pour le bénéfice de toute la population. Cette première phase nécessitera un budget d’investissement en infrastructures électriques de 1.004.564.505 FCFA, soit 1.531.449 €, dont l’essentiel (83%, soit 833.110.000 FCFA, environ 1.270.000€), servira à la construction de lignes MT et BT de distribution à l’intérieur des quartiers.
  • Une seconde période dite de généralisation par une intensification de la densification du service électrique, permettant d’atteindre un taux de couverture de l’ensemble des 232 quartiers du Département en 2022, moyennant un budget d’investissement global de 2.770.026.719 FCFA.

Les résultats de cette étude technico-économique ont été restitués et validés dans la salle des conférences de la Préfecture des Hauts-Plateaux le 13 novembre 2009 à Baham, avec notamment la recommandation d’intégrer, dans la mesure du possible, l’énergie solaire dans les schémas d’éclairage public. Avec la validation de ce document, le Département des Hauts-Plateaux dispose désormais de sa Vision 2022 de l’Electrification Rurale.

C’est à la suite de cette restitution que les 4 maires, sous la coordination de M. Elias Tchadji, Maire de Baham (qui est le Chef-lieu du Département des Hauts-Plateaux), ont décidé de saisir l’opportunité du lancement de l’appel à propositions de la Facilité Energie ACP-UE (Commission Européenne) pour monter le projet de Développement de l’Electrification Rurale dans les Hauts-Plateaux (DER Hauts-Plateaux), dont l’objectif est la mise en œuvre du Programme d’Investissement Prioritaire (PIP) sur la période 2011-2013: un processus extrêmement sélectif (plusieurs étapes d’évaluations successives) qui pourrait conduire à la mise en place de subventions européennes (maximum 75%) pour  le financement de projets d’accès aux services énergétiques modernes.

En accompagnement des réalisations physiques en infrastructures pour l’extension et la densification du réseau électrique – qui bénéficieront de l’intégration de technologies innovantes de distribution électrique à bas coûts capitalisées à travers des expériences réalisées à l’international -, le projet DER Hauts-Plateaux prévoit :

  • Une composante consacrée à l’optimisation des réseaux d’éclairage public, avec définition préalable d’un Schéma Directeur d’Aménagement Lumière (SDAL) sur le territoire de chaque Commune, permettant d’améliorer la qualité, la densité et la continuité du service d’éclairage public, tout en optimisant l’impact sur le budget des collectivités locales et sur l’environnement. L’éclairage public sur le réseau (au moins 12 lampadaires pour 1000 habitants) sera complété par la dissémination d’au moins 200 lampadaires solaires afin de garantir la sécurité à l’échelle du territoire et de participer à la valorisation du patrimoine culturel local.
  • Une composante consacrée à l’amélioration de l’impact économique et social de l’électricité, avec notamment la promotion des usages productifs de l’énergie électrique. Sur la base d’études de potentiels de valorisation des principales filières agricoles, touristiques et artisanales de la région, le projet prévoit le développement de 100 nouvelles activités génératrices d’emplois et de revenus et le renforcement d’une centaine d’activités existantes. Un programme d’appui aux Etablissements de Microfinance sera mis en place dans cette optique, au bénéfice de porteurs de projet. Dans cette composante, il s’agira également de garantir le branchement effectif des ménages en subventionnant les frais d’accès au réseau, et le raccordement durable en promouvant l’utilisation des Lampes à Basse Consommation qui permettent dans certains cas de réduire la facture de plus de 70%. Toutes les familles seront encouragées à se raccorder, pour une contribution moyenne qui ne devra pas dépasser 25.000 FCFA/branchement. Enfin, il s’agira de s’assurer du raccordement à 100% de l’ensemble des équipements scolaires et sanitaires, mais aussi des chefferies et lieux de cultes.
  • Une composante consacrée au renforcement de la Maîtrise d’Ouvrage intercommunale du service public de l’électricité à l’échelle du Département, pour en garantir la durabilité. Elle sera mise en œuvre avec l’assistance à Maîtrise d’ouvrage de la Commune française de Saint-Germain-au-Mont-D’or, partenaire de coopération décentralisée de la ville de Baham. Cette composante verra la mise en place d’une structure intercommunale, établissement public qui pourra prendre par exemple la forme d’un syndicat intercommunal comme le prévoit la nouvelle loi sur la décentralisation[1]. Cette structure sera dotée d’outils juridiques, des compétences et moyens adéquats. A l’instar des syndicats intercommunaux d’électricité en France[2], elle aura pour missions de garantir l’accès aux énergies de qualité à l’ensemble du département, dans le cadre d’un véritable service public territorial : solidarité entre les usagers, égalité d’accès de tous au réseau, usages productifs de l’électricité, maîtrise de l’énergie, qualité de l’énergie fournie, sécurité des hommes et des équipements. Sous la coordination des 4 communes, elle portera à l’issue du projet la responsabilité du montage de projets et de recherche des financements nécessaires pour atteindre la généralisation du service électrique à partir de 2014.
  • De manière transversale, une composante de renforcement des capacités des élus et techniciens municipaux, avec l’organisation d’un cycle de 5 ateliers thématiques de formation et d’échange d’expériences, et l’organisation de missions croisées d’études en France et au Cameroun.

Grâce à différentes correspondances adressées au Maire de Baham, le projet DER Hauts-Plateaux bénéficie du soutien:

  • du Vice-Premier Ministre, Ministre de l’Agriculture et du Développement Rural, par Lettre N°1026 MINADER/CAB/CT2 du 31 mai 2010;
  • du Ministre de l’Energie et de l’Eau, par Lettre N° 00001955/10/MINEE/SG/DEL du 28 juin 2010;
  • du Directeur Général du FEICOM, par Lettre N°4651/L/FEICOM/DG/DCPCA/SDCP/SCDI/BT du le 25 mai 2010;
  • du Directeur Général de l’Agence de Régulation du Secteur de l’Electricité (ARSEL), par Lettre N°A184/ARSEL/DG du 14 juin 2010.

La réalisation du projet DER Hauts-Plateaux, nécessitera un budget global de 2.195.220.449 FCFA. Il bénéficiera d’un cofinancement de 400.000.000 FCFA de la part du FEICOM (sous réserve de la Décision du Comité des Concours Financiers du FEICOM, CCFF) et d’un cofinancement complémentaire de 63.000 € de la part de la Commune française de Saint-Germain-au-Mont-D’or, partenaire de coopération décentralisée de la ville de Baham (Sous réserve d’une Décision du Ministère français des Affaires Etrangères et Européennes).

Rappel de la situation et des réalités actuelles…

Le Département des Hauts-Plateaux est caractérisé par sa très forte ruralité (90% des activités économiques sont agricoles) et compte près de 144.000 habitants, regroupés dans les Communes de Baham, Bamendjou, Bangou et Batié. Dans les statistiques nationales, ces quatre communes sont aujourd’hui considérées comme électrifiées. Elles sont en effet traversées par un réseau MT 30kV qui est alimenté en base à plus de 80% par une énergie hydroélectrique, ont toutes été très partiellement électrifiées[3] avant la privatisation de la société nationale d’électricité AES-Sonel, et font désormais partie de son périmètre de concession.

Il s’agit cependant d’un véritable paradoxe pour les autorités locales et les populations rurales :

  • En vertu de l’article 4 du contrat cadre de concession, ces 4 communes ne peuvent pas être desservies par un opérateur tiers dans le cadre de schémas décentralisés, en raison du caractère exclusif de la distribution et de la vente d’électricité concédé à AES-Sonel, malgré la disponibilité locale de ressources renouvelables[4]. Leur sort est donc scellé à celui de cet opérateur au moins jusqu’en 2021, année d’échéance de ce contrat de concession ;
  • Elles ne constituent pas pour autant une priorité pour AES-Sonel : en effet, les objectifs de branchements assignés par le contrat de concession à AES-Sonel sont plus rapidement atteints, à moindre coût et avec des retours sur investissement plus intéressant en densifiant le service dans les grandes villes ;
  • Les taux d’électrification rurale étant globalement faible au plan national (autour de 10% en moyenne), elles ne constituent pas non plus une priorité pour les pouvoirs publics centraux, préoccupés davantage par l’électrification de nouvelles localités, plutôt que par la densification du service dans des communes déjà statistiquement électrifiées[5] ;
  • Les taux effectifs de pénétration de l’électricité dans les Hauts-Plateaux sont pourtant très faibles, en raison des coûts prohibitifs des branchements pour les populations (qui intègre des coûts d’extension au-delà de 100m du dernier point de livraison), le réseau de distribution BT étant d’un maillage embryonnaire, limité généralement aux centres administratifs et à quelques quartiers. Ces taux de branchements effectifs des ménages ont été évalués à environ 10%, à l’issue d’une enquête menée à l’échelle des Hauts-Plateaux en 2009 ;
  • Elles subissent régulièrement des interruptions de service, et ne font pas nécessairement l’objet d’interventions promptes en cas de panne sur le réseau. Ainsi, les rares abonnés actuels disposent en réalité d’un service de très mauvaise qualité : coupures intempestives sur plusieurs jours, problèmes de fréquence et de tension, etc.[6]
  • Dans un tel contexte, les branchements pour usages productifs, sont de surcroît très faibles et les effets d’entraînement de l’électricité sur le développement sont incongrus. D’après l’enquête menée en 2009, les utilisations productives de l’électricité représentaient moins de 4% d’abonnés et à peine 7,4% de la consommation totale, dominées par les moulins (36,3%) et le commerce (21,5%). Seules 3 activités de transformation de produits agricoles électrifiées ont été recensées, représentant à peine 0,1% de la consommation totale et 2% de la consommation productive.
  • Conformément aux dispositions de l’article 6.6 du cahier des charges du contrat cadre de concession et de licence liant l’Etat camerounais à AES-Sonel, les réseaux d’éclairage publics sont exclus des biens à concéder et restent la propriété des communes. Autrement dit, chaque commune est considérée comme un abonné à part entière, et doit établir avec l’opérateur un contrat spécifique pour la remise en état des réseaux d’éclairage public, leur entretien et leur alimentation. Les ressources limitées des communes rurales ne permettent pas aujourd’hui d’assurer convenablement les investissements nécessaires et le règlement des factures induites par l’éclairage public. En conséquence de quoi cette mission communale demeure très faiblement assurée. L’enquête réalisée dans les Hauts-Plateaux fait état de ce que les communes consacrent moins de 1% de leur budget à l’éclairage public.
  • Malgré toutes ces contraintes, le raccordement au réseau interconnecté demeure une solution très avantageuse pour les communes rurales et leurs populations, en raison de l’externalisation du service et de la disponibilité d’une énergie à moindre coût[7].

Face à cette situation, les collectivités locales raccordées au réseau interconnecté, qui ne disposent que de faibles ressources et ne disposent actuellement d’aucun moyen de pression sur le concessionnaire, semblent démunies. D’une part, c’est le Ministère de l’Energie qui est l’Autorité concédante pour le compte de l’Etat camerounais (Art. 40-2 de la Loi n°98/022)[8]. D’autre part, c’est l’ARSEL, Agence de Régulation du Secteur de l’Electricité, créée suite à la réforme de 1998, qui a la responsabilité « de veiller aux intérêts des consommateurs et d’assurer la protection de leurs droits pour ce qui est du prix, de la fourniture et de la qualité de l’énergie électrique » (Art. 42 de la Loi n°98/022).

Pourtant, au-delà de leur responsabilité générale en matière de développement économique et social, les lois de la décentralisation transfèrent aux communes des compétences en matière « d’éclairage des voies publiques » et de « contribution à l’électrification des zones nécessiteuses » (Art. 17 de la Loi n°2004/018 du 2 juillet 2004 fixant les règles applicables aux communes).

Dans le contexte actuel, les communes ne sont cependant pas organisées, et encore moins outillées pour assurer l’intermédiation nécessaire avec les bailleurs de fonds, les autorités publiques et le concessionnaire, afin de garantir une bonne gouvernance locale du service de l’électricité dans le périmètre de la concession. Elles n’exercent donc actuellement aucun contre-pouvoir sur l’opérateur.

Le projet DER Hauts-Plateaux, dont la Note de concept a déjà franchi avec succès deux des trois étapes de présélection par les évaluateurs de la Commission Européenne, devrait permettre de lever, au moins en partie, ces différentes contraintes. En vue de cette dernière étape, une proposition complète, technique, économique et financière, vient d’être finalisée, et a été envoyée à Bruxelles ce lundi 05 juillet 2010. La réponse définitive de la Commission Européenne est attendue avant la fin de cette année. Croisons les doigts !

 


[1] L’article 133, section, chapitre I, Titre IV de la Loi n°2004/018 du 22 juillet 2004 fixant les règles applicables aux communes, autorise les communes d’un même département à se regrouper en syndicat en vue de réaliser des opérations d’intérêt intercommunal.

[2] Dans la Région Rhône-Alpes on recense par exemple le SIGERLY, Syndicat Intercommunal de Gestion des Energies de la Région Lyonnaise crée en 1935 (www.sigerly.fr), le SIDER, Syndicat Départemental d’Energies du Rhône (www.sider.fr), et le SIEL, Syndicat Intercommunal d’Energies de la Loire (www.siel42.fr), …, autant de structures qui participent du renforcement de la maîtrise d’ouvrage intercommunale et de la mobilisation des financements.

[3] Il s’agit en réalité d’une électrification « en surface », consistant au raccordement de la localité à un réseau électrique. La France a achevé cette forme d’électrification pour ses 38.000 communes en 1954. La densification a été poursuivie par les communes avec l’aide du FACE (Fonds d’Amortissement des Charges d’Electrification).

[4] Plusieurs sites de microcentrales hydroélectriques ont été recensés dans le cadre d’une étude de planification, ainsi qu’un site hydroélectrique de 183MW, avec une hauteur de chute de 80m, dans la partie nord du Département.

[5] Cette problématique concerne plus de 70% des communes au Cameroun, impliquées d’une manière ou d’une autre dans le périmètre de la Concession de AES-Sonel.

[6] Il convient de préciser qu’une analyse fine de la situation actuelle de l’électrification dans le Département des Hauts-Plateaux fait état de ce que la mauvaise qualité d’énergie est aussi le fait de configurations techniques non conformes, de surcharges des transformateurs, de branchements hasardeux et non structurés. Le poste de transformation HT/MT le plus proche étant situé à moins de 30km (Bafoussam, poste 90/30), les chutes de tension ainsi que les problèmes de fréquences observés ne résultent pas seulement de problèmes en amont sur le réseau, mais aussi de ce non respect des règles de l’art en aval.

[7] Grâce à la péréquation nationale, ce tarif est de 0,076€/kWh (exonéré de TVA) pour la tranche sociale (moins de 110kWh/mois).

[8] A titre de comparaison, les communes françaises ont été érigées en Autorité concédante dès 1906, 40 ans avant la création de Electricité de France (EdF). Elles vont progressivement se regrouper à différentes échelles territoriales pour renforcer leur capacité de lobbying, de négociation et de maîtrise d’ouvrage locale, jusqu’à la nationalisation de l’électricité et la création de EdF en 1946. Elles vont ensuite s’organiser à l’échelle nationale au sein de la Fédération Nationale des Collectivités Concédantes et Régies (FNCCR).