A l’initiative de la Commune de Baham (Cameroun) et en partenariat avec la Commune de Saint-Germain-Au-Mont-d’Or (France, www.saintgermainaumontdor.org), la Note succincte du projet de Densification de l’Electrification Rurale dans le Département des Hauts-Plateaux (DER-Hauts Plateaux) a été soumise à l’instruction de la Facilité Energie ACP-UE fin janvier 2010. Avec l’appui de Saint-Germain-Au-Mont-d’Or, membre du SIGERLY (le Syndicat Intercommunal de Gestion des Energies de la Région Lyonnaise crée en 1935, www.sigerly.fr) et dans le cadre de la Convention de coopération décentralisée qui la lie désormais à Baham, le projet « DER-Hauts Plateaux » souhaite apporter une réponse aux quatre problèmes spécifiques suivants:

  1. L’insuffisance chronique et paradoxale de la desserte électrique actuelle;
  2. L’absence d’éclairage public ;
  3. Le faible effet d’entraînement de l’électricité sur le développement économique et social local ;
  4. La faible implication des collectivités locales du périmètre de la concession de AES-Sonel dans la gouvernance locale du service de l’électricité.

Avec un taux moyen d’électrification estimé actuellement à 10% (les utilisations productives représentant 7,4% de la consommation totale d’électricité), le projet « DER-Hauts Plateaux » compte atteindre les résultas concrets suivants, sur la période 2011-2013:

  1. Un renforcement durable de la desserte domestique (70% d’accès dans les pôles en année 1), sanitaire (100%), éducative (100%) et économique (au moins 200 activités raccordées) ;
  2. La mise en place d’un réseau d’éclairage public solaire (au moins 200 points d’éclairage) dans les 4 communes ;
  3. Le développement d’au moins 100 nouvelles activités économiques, le renforcement de 100 activités existantes, et la promotion conséquente d’usages productifs de l’électricité;
  4. La mise en place d’un cadre intercommunal de maîtrise d’ouvrage locale du service public de l’électricité, pour une meilleure gouvernance locale, en relation notamment avec le régulateur et le concessionnaire. 

Le Département des Hauts-Plateaux (Région de l’Ouest), est caractérisé par sa très forte ruralité (90% des activités sont agricoles) et compte près de 144.000 habitants, regroupés dans les Communes de Baham, Bamendjou, Bangou et Batié.

Dans les statistiques nationales, ces quatre communes sont aujourd’hui considérées comme électrifiées par la société nationale d’électricité AES-Sonel, privatisée en juillet 2001. Elles sont traversées par un réseau MT 30kV qui est alimenté à plus de 80% par une énergie hydroélectrique, ont toutes été très partiellement électrifiées par l’Etat  avant la privatisation, et font désormais partie du périmètre de la concession de AES-Sonel . Il s’agit en réalité d’une électrification « en surface », consistant au raccordement de la localité à un réseau électrique. La France a achevé cette forme d’électrification pour ses 38.000 communes en 1954. La densification a été poursuivie par les communes avec l’aide du FACE (Fonds d’Amortissement des Charges d’Electrification).

Dans les Hauts-Plateaux de l’Ouest, il s’agit cependant d’un véritable paradoxe pour les populations locales :

  1. En vertu de l’article  4 du contrat cadre de concession, ces 4 communes ne peuvent pas être desservies par un opérateur tiers dans le cadre de schémas décentralisés, en raison du caractère exclusif de la distribution et de la vente d’électricité, malgré la disponibilité de ressources renouvelables (Plusieurs sites de microcentrales hydroélectriques ont été recensés dans le cadre d’une étude de planification, ainsi qu’un site hydroélectrique de 183MW, avec une hauteur de chute de 80m, dans la partie nord du Département). Leur sort est donc scellé à celui de AES-Sonel, au moins jusqu’en 2021, échéance de ce contrat de concession ;
  2. Elles ne constituent pas pour autant une priorité pour AES-Sonel : en effet, les objectifs assignés par le contrat de concession à AES-Sonel en terme de nouveaux branchements sont plus rapidement atteints et à moindre coût en densifiant dans les grandes villes ;
  3. Les taux d’électrification rurale étant globalement faibles au plan national (autour de 10% en moyenne), elles ne constituent pas non plus une priorité pour les pouvoirs publics centraux, préoccupés davantage par l’électrification de nouvelles localités, plutôt que par la densification du service dans des localités déjà statistiquement électrifiées ;
  4. Les taux effectifs de pénétration de l’électricité dans les Hauts-Plateaux sont pourtant très faibles, en raison des coûts prohibitifs des branchements pour les populations, le réseau de distribution BT étant d’un maillage embryonnaire, limité généralement aux centres administratifs et à quelques quartiers. Ces taux de branchements effectifs des ménages ont été évalués à environ 10%, à l’issue d’une enquête menée à l’échelle des Hauts-Plateaux en 2009 ;
  5. Elles subissent régulièrement des interruptions de service, et ne font pas nécessairement l’objet d’interventions promptes en cas de panne sur le réseau ;
  6. Ainsi, les rares abonnés actuels disposent en réalité d’un service de très mauvaise qualité : coupures intempestives sur plusieurs jours, problèmes de fréquence et de tension, etc. ;
  7. Dans un tel contexte, les branchements pour usages productifs, sont de surcroît très faibles et les effets d’entraînement de l’électricité sur le développement sont incongrus. D’après l’enquête menée en 2009, les utilisations productives de l’électricité représentaient moins de 4% d’abonnés et à peine 7,4% de la consommation totale, dominées par les moulins (36,3%) et le commerce (21,5%). Seules 3 activités de transformation de produits agricoles électrifiées ont été recensées, représentant à peine 0,1% de la consommation totale et 2% de la consommation productive ;
  8. Conformément aux dispositions de l’article 6.6 du cahier des charges du contrat cadre de concession et de licence liant l’Etat camerounais à AES-Sonel, les réseaux d’éclairage publics sont exclus des biens à concéder et restent la propriété des communes. Autrement dit, chaque commune est considérée comme un abonné à part entière, et doit établir avec l’opérateur un contrat spécifique pour la remise en état des réseaux d’éclairage public, leur entretien et leur alimentation. Les ressources limitées des communes rurales ne permettent pas aujourd’hui d’assurer convenablement les investissements nécessaires et le règlement des factures induites par l’éclairage public. En conséquence de quoi cette mission communale qui participe pourtant de la sécurité des voies publiques demeure très faiblement assurée.

Il convient cependant de préciser qu’une analyse fine de la situation actuelle de l’électrification dans le Département des Hauts-Plateaux fait état de ce que la mauvaise qualité d’énergie est aussi le fait de configurations techniques non conformes, de surcharges des transformateurs, de branchements hasardeux et non structurés. Le poste de transformation HT/MT le plus proche étant situé à moins de 30km (Bafoussam, poste 90/30), les chutes de tension ainsi que les problèmes de fréquences observés ne résultent pas seulement de problèmes en amont sur le réseau, mais aussi de ce non respect des règles de l’art en aval.

De plus, le raccordement au réseau interconnecté demeure une solution très avantageuse pour les communes rurales et leurs populations, particulièrement en raison de l’externalisation de la gestion du service de distribution publique, et de la disponibilité d’une énergie à moindre coût grâce à la péréquation tarifaire nationale[1].

Face à cette situation et ne disposant pas de moyen de pression sur le concessionnaire, les collectivités locales raccordées au réseau interconnecté semblent aujourd’hui démunies. D’une part, c’est le Ministère de l’Energie qui est l’Autorité concédante pour le compte de l’Etat camerounais (Art. 40-2 de la Loi n°98/022 régissant le secteur de l’électricité)[2]. D’autre part, en sa qualité de régulateur du secteur de l’électricité, c’est l’ARSEL, Agence de Régulation du Secteur de l’Electricité créée suite à la réforme de 1998, qui a la responsabilité « de veiller aux intérêts des consommateurs et d’assurer la protection de leurs droits pour ce qui est du prix, de la fourniture et de la qualité de l’énergie électrique » (Art. 42, Chap. II, Titre IV de la Loi n°98/022).

Pourtant, au-delà de leur responsabilité générale en matière de développement économique et social, les lois de la décentralisation transfèrent aux communes des compétences en matière « d’éclairage des voies publiques » et de « contribution à l’électrification des zones nécessiteuses » (Loi n°2004/018 du 2 juillet 2004 fixant les règles applicables aux communes, Titre III, chapitre 1, art. 17).

Dans le contexte actuel, les communes ne sont pas organisées, et encore moins outillées pour assurer l’intermédiation nécessaire avec les autorités publiques et le concessionnaire, afin de garantir une bonne gouvernance locale du service de l’électricité dans le périmètre de la concession. Elles n’exercent donc actuellement aucun contre-pouvoir sur l’opérateur.

Le projet vient de passer la première étape de l’évaluation de la Commission Européenne…


[1] Ce tarif est de 7,6 cents €/kWh pour la tranche sociale (moins de 110kWh/mois) et exonéré de TVA.

[2] A titre de comparaison, les communes françaises ont été érigées en Autorité concédante dès 1906, 40 ans avant la création de Electricité de France (EdF). Elles vont progressivement se regrouper à différentes échelles territoriales pour renforcer leur capacité de lobbying, de négociation et de maîtrise d’ouvrage locale, jusqu’à la nationalisation de l’électricité et la création de EdF en 1946. Elles vont ensuite s’organiser à l’échelle nationale au sein de la Fédération Nationale des Collectivités Concédantes et Régies (FNCCR).