Le secteur de la gestion des ressources en eau connaît actuellement une phase transitionnelle, entre omnipotence de l’État et désengagement progressif de ses administrations, entre domanialité de l’eau et protection des ressources, entre réforme agraire et développement rural. L’enjeu est double : mettre en cohérence les réseaux et les stratégies par la co-construction d’un référent commun, d’une part, et assurer, d’autre part, une place grandissante à des acteurs provenant de la société : associations et entreprises.

En effet, le processus de décentralisation confère aux organes administratifs locaux des prérogatives de plus en plus complètes, exigeant des moyens techniques et humains de plus en plus importants auxquels on pallie par le recours à des sous-traitants, souvent des micro entreprises. La prise en compte des espaces et des populations de montagne, dans les programmes d’action faisant référence à la régulation et à la distribution de l’eau, est empreinte de ces enjeux entremêlés. Si les interventions procèdent par un accroissement de la part d’eau utilisable, tant en jouant sur la dimension anthropique du risque de pénurie (le gaspillage des réseaux) que sur sa dimension naturelle (le ruissellement et l’envasement des retenues), l’approche fait de plus en plus référence aux prérogatives énoncées par les financeurs internationaux : consulter la population et la faire participer aux aménagements pour qu’elle s’approprie leur entretien. Peut-on s’attendre à une nouvelle organisation des territoires, dans ce contexte de décentralisation, de participation locale et d’ouverture au secteur privé ?

Si l’eau reste l’élément central des programmes multilatéraux en milieu rural et en montagne, de multiples aspects du contexte de vie des populations locales sont envisagés : agriculture, santé, alphabétisation, diversification des sources de revenu, etc. L’étude des politiques publiques en matière de développement agricole, de développement montagnard et de gestion de l’eau montre néanmoins que les objectifs restent sensiblement les mêmes : valorisation des investissements importants déjà concédés, modernisation de la PMH traditionnelle, intensification et diminution de la SAU par habitant, protection des sols et construction de nouveaux barrages. La protection de la ressource passe notamment par le changement des pratiques, en diversifiant les activités économiques afin d’alléger l’impact de l’agriculture sur les sols et en intensifiant les cultures. Les espaces de programme font converger les attentes en matière agricole et la programmation d’infrastructures socio-économiques, et les périmètres concernés sont des espaces favorables qui permettent la connexion à des réseaux divers – eau, routes et services (Bajeddi, 2000). Les actions restent localisées – bien que procédant par diffusion – et concernent des zones stratégiques pour le développement de la plaine : bassins récepteurs et arrière-pays fertile de Marrakech. On s’aperçoit donc que, si les acteurs se multiplient, si les administrations de secteurs variés travaillent parallèlement, les impératifs de la mise en valeur des ressources en eau conduisent en partie les stratégies de gestion des territoires. Par ailleurs, la démarche participative apparaît souvent comme le but des programmes de protection et de développement des bassins versants, alors que son application reste souvent un échec, l’échéancier financier des projets étant peu compatible avec le temps que nécessite la consultation. L’initialisation trop précoce du programme conduit à un double échec, financier et stratégique : la concertation inachevée, devient un argument politique de positionnement du pouvoir dans l’espace et l’aménagement local des ressources en eau, un de ses instruments. Cette organisation de partenariat négocié – plus que concerté – entre les administrations d’État et les associations locales a un rôle particulier dans les processus territoriaux en montagne. La création non spontanée de ces groupes matérialise un processus d’objectivation par les opérateurs qui n’est pas sans être un facteur de territorialisation. Dès lors que la participation et la consultation des populations est un objectif politique majeur, chaque groupe concerné devient « l’espace social » du projet (le contrat sous-entendant l’idée d’obligation, même si elle est conventionnelle), dans le cadre favorable du bassin versant qui facilite l’extension normative d’une gestion des pratiques de l’espace.

Source : http://geocarrefour.revues.org/609#tocto1n3 Le territoire dans les stratégies de gestion de l’eau. De l’intégration sectorielle à l’intégration des territoires au Maroc