La principale œuvre du sociologue munichois Ulrich Beck n’est pas un livre sur le risque mais un livre sur la transformation de la société actuelle en une société post-industrielle où les rapports sociaux, l’organisation politique, la structure familiale, etc., seraient profondément modifiés.
Publié en Allemagne en 1986, en Grande-Bretagne en 1992, puis en France en 2001, ce livre a abondamment suscité le débat. Sa sortie en format poche cette année va permettre une large diffusion de cette œuvre d’un abord un peu fastidieux mais néanmoins indispensable car elle a contribué à l’émergence d’une «sociologie du risque» actuellement en plein essor.

Selon U.Beck, nous passons d’une société industrielle, où le problème central était la répartition des richesses, à une société centrée sur la répartition des risques. Autrement dit, le risque n’est plus une menace extérieure, mais bien un élément constitutif de la société.

Les risques apportés par la civilisation ont pour caractéristique qu’ils se dérobent à la perception tant physique, géographique que temporelle. Le risque est d’une nature nouvelle et entraîne une redéfinition de la dynamique sociale et politique en devenant un critère supérieur à la notion de répartition des richesses, qui structurait jusque là notre société capitaliste.

S’inscrivant dans la tradition allemande de la sociologie de Max Weber, Ulrich Beck cherche à faire une sociologie générale : chômage, vie familiale, inégalités sociales, politiques. Pour l’auteur, le mot risque est connoté d’une acceptation beaucoup plus large que l’idée d’un risque technologique majeur, mais il met alors sur le même plan, ce qui peut être critiquable, risques industriels (modernité réflexive), incertitudes scientifiques (risques scientifiques) et insécurité sociale (individualisation). Ainsi, étant donné le large éventail des sujets abordés, l’essai est écrit sous la forme d’un essai où l’on peut trouver trois livres en un.

L’auteur y développe le modèle théorique d’une «modernisation réflexive» de la société industrielle (elle est à elle-même «objet de réflexion et problème») selon deux axes d’argumentation : une étude de la logique de la répartition du risque (première partie), et une étude du théorème de l’individualisation (deuxième partie). A partir de cette modernisation réflexive, l’auteur montre alors l’effacement des frontières entre la science et la politique (troisième partie).

La modernisation réflexive, qui s’inscrit dans le contexte d’une démocratie ultra-développée et d’une scientificisation très poussée, conduit en effet à un effacement des frontières entre science et politique. Ainsi, la science aussi devient réflexive puisque confrontée à ses propres produits et à ses propres insuffisances. On assiste alors, selon U.Beck, à une disparition du monopole scientifique sur la connaissance, «la science devient de plus en plus nécessaire mais de moins en moins suffisante à l’élaboration d’une définition socialement établie de la vérité» (p.343).
Aujourd’hui ce n’est donc pas l’ampleur du risque qui change mais sa «scientificisation» qui ne permet plus de se décharger de ses responsabilités en accusant la nature. On sait que le risque est généré par la société industrielle elle même et généralisé au delà de l’organisation traditionnelle de la société en classes, production et reproduction, partis et sous-systèmes.

Là où Théodore Adorno et Max Horkeimer, penseurs de l’école de Francfort, considéraient la confusion entre nature et société comme une illusion, Beck estime cette fusion achevée, ce que symbolise à sa manière le nuage radiocatif de Tchernobyl (contemporain de la sortie du livre en Allemagne), avatar d’un produit de la civilisation, métamorphosé en puissance naturelle et revêtant également une configuration scientifique.

Le mythe de la fin de l’histoire, celui qui consiste à considérer la société industrielle développée comme l’apogée de la modernité, est donc largement mis à mal par le livre d’U.Beck. Le moteur de la modernisation devient désormais selon l’auteur ce qu’il nomme la sphère subpolitique (justice, médias et vies privées qui se politisent..).
Mais les formes traditionnelles, sociales, institutionnelles et familiales de maîtrise de l’insécurité n’étant plus assurées dans la «société du risque», on peut reprocher à l’auteur de faire alors reposer tout le poids de cette insécurité sur le seul individu.

Nathalie Beau, auteure de cette analyse, est titulaire d’un DEA de sociologie politique (Paris-Sorbonne). Elle a notamment travaillé sur l’étude des mouvements sociaux.

Ulrich  Beck   La Société du risque – Sur la voie d’une autre modernité
Flammarion - Champs 2003 /  522 pages
ISBN : 2-08-080058-2
FORMAT : 11×18 cm