L’électrification rurale était au centre des débats d’une importante réunion tenue à la Préfecture de Dschang dans le Département de la Menoua ce vendredi, 12 octobre 2012. Il s’agissait très précisément de la restitution des résultats d’une étude de planification de l’électrification rurale qui avait démarrée par une série d’investigations de terrain à l’échelle du Département au mois d’avril 2012 ; étude qui avait été conduite sous la houlette des associations « Communes et Développement en Afrique (CODEA)[1] » et « Culture, Sciences et Techniques pour le Développement (CSTD)[2] » qui ont sollicité pour la circonstance, l’appui technique du cabinet « Etudes Engineering Développement (EED)[3] ».

Cette réunion, présidée en personne par M. Nasery Paul Bea, Préfet de la Menoua, a vu la mobilisation de plusieurs administrations au premier rang desquelles les six Collectivités Territoriales Décentralisées (CTD) du Département de la Menoua[4] représentées par leurs maires, les délégations régionales du Ministère de l’Agriculture et du Développement Rural (MINADER), du Ministère de l’Environnement, de la Protection de la Nature et du Développement Durable (MINEPDED), du Ministère de l’Eau  et de  l’Energie (MINEE), du Ministère de l’Economie, de la Planification et l’Aménagement du Territoire (MINEPAT) ainsi que les autorités de l’Université de Dschang. Preuve s’il en est besoin que la problématique de l’accès à l’énergie n’est pas seulement la préoccupation des CTD mais se manifeste aussi avec acuité dans l’agenda du gouvernement[5].

Au menu des débats, une présentation des principaux constats et conclusions de l’étude sur la planification de l’électrification rurale dans le Département de la Menoua dont  Il se dégage un état des lieux critique.

  • Considérées comme électrifiées, les six communes présentent cependant un taux de pénétration du réseau électrique inférieur à 15% donc très faible.
  • Ce qui induit logiquement un réseau Basse Tension peu maillé à l’intérieur des localités avec pour principale conséquence des frais de branchements très élevés.
  • De plus, la qualité du service est déplorable du fait de multiples interruptions ou des instabilités de tension et de fréquence.
  • S’ensuit donc une consommation d’énergie orientée principalement vers les activités domestiques (90%) au détriment d’un usage à des fins productives et économiques.
  • Paradoxalement, le fait pour les communes du Département d’appartenir au périmètre d’exploitation concédé à AES-SONEL[6] présente plusieurs avantages parmi lesquels l’externalisation de la gestion du service public de l’électricité pour les communes concernées, l’accès à l’électricité à un tarif concurrentiel grâce à la péréquation tarifaire qui s’opère à l’intérieur du périmètre de cette concession et l’opportunité de s’organiser pour une extension de la desserte et une amélioration de la qualité du service.

Cette étude technico-économique de l’électrification rurale dans la Menoua présente les modalités d’amélioration (i) de la desserte rurale actuelle, (ii) du renforcement de l’impact de l’électricité sur le développement économique local (ii) de la gouvernance locale du service de l’électricité. Elle indique également l’ensemble des coûts pour une généralisation de l’accès à l’électricité sur un horizon initial de 20 ans.

Les autorités locales ont donc pu apprécier les conclusions de ce document même dans ces aspects les plus techniques. Ainsi, l’analyse spatiale qui a été effectuée permet de sélectionner des pôles de développement, de les hiérarchiser afin qu’ils puissent bénéficier en priorité et dans un ordre déterminé d’une densification des réseaux électriques[7]. L’analyse prévisionnelle de la demande quant à elle permet d’établir les profils de consommation moyens des différents types d’utilisateurs et d’élaborer des hypothèses de croissance de la demande à l’horizon de la planification c’est-à-dire dans 20 ans. Une simulation de l’extension du réseau a justement été présentée à travers les diverses phases de ce projet[8] ; simulation qui offre l’avantage de fournir des indications précises sur les coûts financiers nécessaires.

Au sortir de cette réunion, d’importantes recommandations ont été adressées aux participants dont la plus importante était qu’une telle action devait absolument être conduite de concert par les communes concernées, essentiellement rurales. En effet, l’approche intercommunale, si elle est institutionnalisée entre les collectivités concernées, serait à bien des égards, stratégique. Elle permettra aux CTD de mutualiser leurs ressources pour engager les importants investissements que nécessitent les projets d’électrification, des projets bien au-delà de la surface financière d’une Commune. Egalement, l’intercommunalité pourra renforcer leurs capacités de négociation tant avec l’Etat qu’avec les partenaires étrangers notamment en vue d’un accompagnement technique et financier ; ces derniers privilégiant nettement accompagner les projets dont les impacts sont significatifs et couvrent une large étendue territoriale.

L’autre grande recommandation était de mettre la réalisation des infrastructures électriques en étroite corrélation avec le développement économique des localités concernées. Les principales Activités Génératrices de Revenus (AGR) du Département devraient bénéficier en priorité, d’un accès aisé et qualitatif à l’énergie électrique afin d’accroitre leur rentabilité et contribuer au développement économique des populations rurales. De plus, la densification de l’électrification doit impérativement s’accompagner du renforcement du réseau d’éclairage public dont l’un des objectifs majeurs sera d’améliorer la sécurité et les activités économiques à l’échelle du Département.

Ce projet novateur n’est pas sans rappeler l’expérience similaire en cours dans le Département des Hauts-Plateaux qui a d’ailleurs bénéficié d’un important appui financier tant de l’Union Européenne  que du FEICOM ainsi que d’une Commune française[9]. La Facilité Energie de l’Union Européenne constitue d’ailleurs une piste de financement qui sera explorée par les collectivités décentralisées de la Menoua, avec l’appui de CODEA et de CSTD.

Seule zone d’ombre au tableau, l’exclusion a priori de la Commune de Dschang du projet en raison de son caractère urbain ; cette densification de l’électrification ne concernant que les zones rurales. Cette mise à l’écart pose cependant quelques problèmes majeurs, tels que rappelés par le représentant de cette Commune pendant les travaux.

La Commune de Dschang est en effet, la résultante du regroupement des Communes urbaine et rurale de Dschang[10]. L’actuelle commune présente donc du fait de cet héritage du découpage administratif, de profondes disparités caractérisées par des zones fortement urbanisées et une grande périphérie à la ruralité évidente ; cette dernière partie présentant à l’instar des localités rurales du Département, les mêmes besoins en infrastructures énergétiques de base. En dépit de cette dimension problématique, la Communes de Dschang  possède cependant, une aura particulière dans la Menoua.

Hormis le fait qu’elle soit le chef-lieu du Département, elle possède également un niveau de développement supérieur à celui de ses homologues[11]. De fait, son rayonnement va bien au-delà des frontières du Département pour s’étendre à l’échelle nationale, faisant ainsi de cette Commune un véritable pôle de développement pour la Région de l’Ouest. De même, cette Commune bénéficie également d’une plus grande audience à l’échelle internationale en comparaison de ces voisines, un atout qui peut être valorisé dans la recherche des partenaires techniques et financiers[12]. Le projet de densification de l’électrification rurale gagnerait donc en faisabilité et en pertinence, pour peu que la Commune de Dschang y soit également associé.

Ainsi, recommandation a été faite, en fin de travaux, afin que les groupements ruraux de cette Commune soient également associés à la démarche de planification, ainsi qu’au futur projet d’investissements prioritaires pour une électrification à court terme des principaux pôles de développement local. Ce projet de Développement de l’Electrification Rurale dans le Département de la Menoua (DER Menoua) présente déjà la perspective d’une belle dynamique, au vu des acteurs impliqués à ce jour.

On peut déjà souligner le rôle des associations CODEA et CSTD qui s’activent pour de meilleures conditions de vie en milieu rural en appui aux Communes et aux organisations communautaires, les autorités locales du Département pour qui le développement participatif est loin d’être un vain mot et qui entendent donner de la consistance à leurs mandats municipaux en promouvant des projets ayant des impacts directs sur les populations. Egalement, les services déconcentrés des ministères dont l’intérêt pour le projet traduit une cohérence avec la politique actuelle du gouvernement de même que les autorités académiques de l’Université de Dschang pour qui cette expérience constitue un véritable laboratoire du Développement à l’échelle locale.

Aujourd’hui, l’électrification rurale est en tête de l’agenda des autorités municipales du Département de la Menoua. Souhaitons-lui bon vent.

Willy Brice TCHEGHO & Olivia KENMEUGNE
Consultants EED, Membres de CODEA.

[1] CODEA-France est une association de droit français dont la vocation est d’accompagner les collectivités locales en termes d’élaboration de vision, de stratégies et d’action en faveur de la généralisation de l’accès aux infrastructures (eau et électricité) et du développement économique à l’échelle de leur territoire à un horizon donné.

[2] Le CSTD est une association de droit camerounais dont la vocation est la promotion de la culture et la vulgarisation des sciences et techniques qu’elle considère comme le véritable socle du développement local.

[3] Le bureau d’études EED est une société de droit camerounais (SARL) dont les domaines d’intervention couvrent la réalisation des études et des prestations d’ingénierie dans les secteurs de l’énergie et de l’eau. Ce cabinet jouit par ailleurs d’une solide expérience dans ce secteur et assure actuellement la maitrise d’œuvre de projets d’envergure visant l’amélioration de l’accès à l’énergie.

[4] Il s’agit des Communes de Dschang (chef-lieu du département), de Fongo-Tongo, de Santchou, de Fokoué, de Penka-Michel et de Nkong-Zem qui regroupent une population estimée à 456 000 âmes.

[5] Le Cameroun s’est engagé aujourd’hui dans de grands chantiers en matière d’accès à l’énergie parmi lesquels le Projet de Renforcement et d’Extension des Réseaux Electriques de Transport et de Distribution (PRERETD) en lien avec la perspective du barrage MEMVE’ELE, du projet de 50 000 branchements du Fonds d’Energie Rurale (FER) dans plusieurs Régions du pays ou encore le projet LOM PANGAR qui prévoit l’électrification de 50 Villages dans la seule Région de l’Est. Les Communes n’entendent pas être des acteurs passifs alors qu’elles possèdent des compétences en matière d’électrification rurale.

[6] Au Cameroun, le service public de l’électricité fait l’objet d’une concession entre le MINEE (Autorité Concédante pour le compte de l’Etat camerounais) et AES-SONEL (filiale d’AES CORPORATION) née de la privatisation de l’opérateur historique qu’était la Société Nationale d’Electricité (SONEL). La régulation de ce secteur a été confiée à une agence créée exclusivement dans ce but, l’Agence de Régulation du Secteur de l’Electricité (ARSEL). A titre de comparaison, les communes françaises ont été érigées en Autorité Concédante dès 1906, soit 40 ans avant la création d’EDF, opérateur historique de ce pays. Elles ont ainsi pu achever leur électrification en 1954 et entreprendre la densification des réseaux à l’intérieur des localités.

[7] Les pôles de développement sont définis comme étant les espaces où l’habitat et les activités se concentrent pour atteindre une certaine densité ; il s’agit des lieux offrant des opportunités d’équipements sanitaires et éducatifs, mais aussi d’emplois secondaires ou tertiaires, par opposition aux emplois primaires (agricoles) beaucoup plus diffus.

[8] Une première phase sera consacrée aux investissements prioritaires dans les pôles de développement tandis que l’autre devra être dédié à la généralisation de l’électricité dans le Département.

[9] Le projet DER Hauts-Plateaux est un projet de développement économique et social par le biais du renforcement des réseaux électriques et d’éclairage public et de leur contribution à la rentabilité des AGR pratiquées dans ce Département. Il est financé à près de 75% du coût total par l’UE et cofinancé par le FEICOM qui a mobilisé la contrepartie attendue des communes. De plus, ce projet bénéficie également d’un fructueux partenariat avec la commune de Saint Germain Au Mont d’Or qui en plus d’un appui financier sera impliqué dans le transfert des savoirs en matière de gestion locale du service public de l’électricité.

[10] Les lois d’orientation de la décentralisation de juillet 2004, notamment celle fixant les règles applicables aux Communes (article 152) a supprimé la qualification d’urbaine ou de rurale dans la dénomination de ces collectivités. On peut donc penser à juste titre que c’est la suppression du trait qui distinguait ces deux collectivités qui a occasionnée cette réunion.

[11] La ville de Dschang est une ville agricole comme ses riveraines mais également et surtout une agglomération universitaire de renom de même qu’un poumon touristique à l’échelle nationale.

[12] La Ville de Dschang a développée avec la Ville de Nantes (France) l’une des premières expériences de coopération décentralisée du Cameroun. C’est à bien des égards un des partenariats les plus achevés du pays car il portait essentiellement sur la promotion du tourisme et aujourd’hui la Ville de Dschang est avec celle de Foumban, les principales destinations touristiques de la Région de l’Ouest. Dschang toujours dans le cadre de ce partenariat, ouvert un Office du tourisme chargé de la promotion de cette activité ; une démarche pilote dont s’est inspiré le gouvernement qui a entrepris de généraliser cette initiative.