Le 25 janvier 2011 un décret du Premier Ministre malgache introduit une évolution majeure dans les textes encadrant la décentralisation dans la république de Madagascar. Il s’agit d’un texte relatif à la coopération décentralisée et aux relations extérieures des Collectivités Territoriales Décentralisées (CTD) malgaches et leurs regroupements. L’avancée est grande car Madagascar, forte de ses 22 Régions et 1551 Communes ne disposait pas encore d’un socle juridique spécifiquement dédié aux actions internationales de ces Collectivités Territoriales[1]. Cette ampleur sera néanmoins relativisée par le dynamisme de ces collectivités qui comptaient déjà à leur actif de nombreuses expériences de coopération décentralisée[2].
Ce décret renforce aussi le cadre institutionnel de la coopération décentralisée à Madagascar avec deux nouvelles instances aux missions explicites : La Commission Nationale de la Coopération Décentralisée (CNCD) et la Délégation Nationale de la Coopération Décentralisée (DNCD)[3].
Si ces deux structures sont placées sous la présidence du Ministre en charge de la décentralisation (MATD), le texte fait également référence à d’autres instances formées par les regroupements des pouvoirs locaux malgaches : les Associations de Collectivités[4]. Cependant, le fait qu’une disposition du décret (article 31) constate la non-effectivité de telles associations permet de relancer une réflexion sur les enjeux dissimulés derrière un renforcement institutionnel à ce niveau. Il s’agit concrètement de dégager l’importance et le rôle de telles associations de collectivités dans le contexte malgache actuel.
Également, à la lecture de ce texte réglementant la coopération décentralisée, on se rend bien compte qu’il n’est fait aucune allusion à cette forme de relation lorsqu’elle est entretenue entre des Communes et des agences de coopération internationale bilatérale ou multilatérale[5] ; ce qui est frappant lorsqu’on sait que le processus de décentralisation oriente de plus en plus l’Aide au développement vers un appui direct aux CTD[6]. Ceci est peut-être dû au fait que les Collectivités territoriales malgaches ont largement orienté leurs actions internationales avec des homologues étrangers directs en négligeant les grandes instances régionales qui sont pourtant des forums de haut-niveau sur les questions du développement local.
A- Les enjeux de la structuration nationale
Ces différents enjeux semblent être perceptibles au niveau national par l’intérêt à mettre sur pied des associations de communes à vocation thématique et de les regrouper également au sein d’un grand ensemble d’envergure nationale.
La mise sur pied d’Associations de Collectivités en considération d’une thématique précise
De plus en plus, les municipalités se regroupent en association de collectivités selon des problématiques qui leurs sont propres. On distingue ainsi à titre d’exemple, la Fédération Nationale des Collectivités Concédantes et Régies (FNCCR) dont la contribution a été décisive à l’électrification rurale complète de la France. Au Cameroun (Afrique Centrale), il existe également des regroupements de municipalités à vocation thématique telles que l’Association des Communes Forestières du Cameroun (ACFCam, née à l’occasion des journées de la coopération décentralisée France-Cameroun) qui est un regroupement de 80 Communes forestières et dont la mission est d’une part celles des CTD en matière de gestion des forêts communales, et d’autre part, d’accompagner le gouvernement en apportant des réponses locales aux questions de développement et de l’environnement. Citons aussi, l’Association des Communes Littorales Camerounaises (ALCOCAM) et l’Association des Populations de Montagnes du Cameroun (APMC) qui ont développé des partenariats fructueux avec respectivement l’Association Nationale des Elus du Littoral de France (ANEL) et l’Association des Populations des Montagnes du Monde (APMM).
L’intérêt d’une démarche tendant à la promotion des associations de municipalités en considération d’une thématique problématique est perceptible à divers niveaux :
- Elle permet d’avoir une meilleure lisibilité dans la recherche des partenariats pertinents en ciblant les acteurs partageant les mêmes préoccupations. Ce qui présente l’avantage de favoriser un transfert de savoirs et de technologie aisé. Cette démarche permet aussi de renforcer les capacités de maîtrise d’ouvrage locale dans des domaines spécifiques pour faire des Collectivités territoriales, de véritables artisans du développement local[7].
- Elle permet ensuite d’associer un plus grand nombre de Collectivités territoriales sur une même thématique quand bien même elles ne seraient pas voisines. A terme, les collectivités locales d’un pays peuvent entreprendre une planification concertée et cohérente de l’aménagement du territoire dans des domaines spécifiques. La surface impactée par une telle approche est évidemment plus grande que si elle est le fait d’une seule Commune ou même d’une intercommunalité à l’intérieur d’une Région[8].
- Elle permet enfin un accompagnement plus technique des départements ministériels concernés par les domaines d’intervention de ces associations de collectivités. Dans le contexte malgache par exemple, le CNCD à travers la DNCD pourra alors en tant que besoin mobiliser les services ministériels compétents pour accompagner les associations de municipalités dans leurs différents programmes sectoriels ou dans des projets issus de la coopération décentralisée.
L’association des Régions et l’Association des municipalités de Madagascar
Créée à l’issue des Assises Nationales sur la Coopération Décentralisation en 2006, l’association des Régions présente une certaine latence tandis que celle des municipalités n’existe pas encore[9].
Cette situation semble évidemment problématique en regard des possibilités envisageables au sein de regroupements de Collectivités d’envergure nationale.
Alors que les principales tendances optent pour une « fédération nationale des associations et organisations communales agissant en tant qu’interlocuteur de l’Etat malgache, des PTF et aussi des structures étrangères telles que l’Association des Villes et Collectivités de l’Océan Indien (AVCOI), l’Association des Maires de France (AMF), Cités Unis de France…[10] », on ne peut que constater que la pertinence de la démarche n’ait pas véritablement été au centre des préoccupations des acteurs de la coopération décentralisée à Madagascar.
Il est à ce sujet évident que l’idée d’une fédération de différentes associations communales présente plus d’atouts dans le cas de Madagascar. En effet, compte tenu de ses 1551 Communes, il apparaît problématique de mobiliser l’intégralité des élus locaux autour d’un consensus[11].
D’autre part, de telles structures présentent également beaucoup de commodités eues égard des missions qui peuvent leurs êtres assignés. A l’échelle nationale, elles peuvent servir de plateforme d’échanges sur les diverses expériences en cours dans le pays. Elles peuvent également renforcer leur capacité de lobbying et de négociation tant avec l’Etat qu’avec les partenaires privés dans une perspective de développement inclusif.
L’Association des 22 Régions de Madagascar est également sujette aux mêmes prescriptions concernant son expansion et son dynamisme. Si des avancées semblent perceptibles[12], elle doit entrer dans une phase véritablement opérationnelle pour devenir une institution véritablement opérationnelle. Pour cela, les Plans Régionaux de Développement (PRD) devront impérativement être réalistes et mettre principalement à contribution les dynamiques locales ; la coopération internationale décentralisée venant comme un accompagnement supplémentaire et relativement complémentaire[13].
B – Les défis de l’internationalisation
Si les Collectivités territoriales malgache jouissent déjà d’une assise certaine au niveau des relations qu’elles entretiennent avec leurs homologues français, il n’est malheureusement pas de même de leur visibilité dans les associations internationales de Collectivités locales. Madagascar est membre d’une organisation internationale de Collectivités territoriales à vocation sous régionale, L’Association des Villes et Communes de l’Océan Indien (AVCOI), mais force est de constater que le caractère modeste de cette organisation n’est pas de nature à contribuer significativement à l’émergence du modèle de décentralisation dont les élus locaux souhaitent pour leurs Collectivités.
L’attention doit davantage être portée sur des associations internationales de Collectivités à la vocation arrimée aux réalités des Collectivités locales africaines et la posture internationale confortée.
Ainsi, il serait souhaitable de voir les CTD malgaches émarger aux côtés de leurs homologues africains au sein de Cités et Gouvernements Locaux Unis d’Afrique (CGLUA) qui est la deuxième organisation démocratique, la plus importante du continent après l’Union Africaine[14].
Une adhésion au sein des CGLUA présente des atouts facilement visibles pour peu qu’on s’intéresse aux missions de l’organisation en comparaison des besoins d’affirmation identitaire des CTD Malgaches sur le plan international :
- CGLUA étant une organisation d’envergure continentale et fédérant la quasi-totalité des pouvoirs locaux d’Afrique, elle peut permettre aux Collectivités malgaches de bénéficier de l’expérience d’autres CTD africaines avec qui elles partagent les mêmes problèmes. Elles disposeront ainsi d’une base de données sur ce qui se fait de mieux sur le Continent dans divers domaines liés au développement local.
- CGLUA est également l’instance par excellence où peuvent se nouer d’authentiques partenariats Sud-Sud entre les Collectivités locales. Il s’avère donc primordial pour les collectivités de Madagascar d’y asseoir leur visibilité par les projets de développement qu’ils initient dans leur agglomérations ; des projets qui peuvent faire l’objet d’une relecture méliorative une fois soumis à évaluation. A titre d’exemple de possible coopération Sud-Sud, les Collectivités du Département des Hauts-Plateaux (Cameroun) et celles de la région des Hauts-Plateaux (Madagascar) partagent les mêmes préoccupations concernant l’électrification rurale et ont déjà mis sur pied des initiatives concrètes qui peuvent faire l’objet d’un dialogue constructif entre elles. Elles peuvent donc aujourd’hui envisager par exemple de créer un partenariat sur ces questions liées à l’accès à l’énergie.
- CGLUA est aussi l’assemblée pertinente où les collectivités et leurs associations peuvent faire renforcer leurs capacités de lobbying et nouer de nouveaux partenariats avec des bailleurs soucieux d’accompagner des projets novateurs ayant un fort impact sur le développement économique. CGLUA est donc un acteur décisif de la coopération décentralisée en ce qu’il met en relation les besoins des Collectivités avec les PTF.
- A travers le Sommet Africités[15] organisé tous les trois ans par CGLUA et qui constitue la plus grande plate-forme d’échange entre les acteurs du développement local, opportunité est également donner aux Collectivités territoriales malgache de défendre leurs avancées en matière de décentralisation et de développement local. Africités, forum d’envergure mondiale mobilise le gotha international des PTF dont plusieurs entretiennent déjà de denses relations de coopération avec Madagascar et ses collectivités locales.
En définitive, on peut remarquer que les exigences de structuration à l’échelle nationale de même que celles du renforcement de la visibilité internationale à travers divers organisations régionales rentrent tous dans la même trajectoire : l’unification des mouvements municipaux et régionaux au sein d’une même dynamique locale d’une part ; l’alignement de ces différents mouvements locaux avec les différentes orientations poursuivies par le gouvernement malgache en matière d’aménagement du territoire d’autre part.
Si bien évidemment les Collectivités territoriales gardent la pleine initiative de former ou de rejoindre les différents regroupements dont il est question plus haut, il n’en demeure pas moins que les services spécialisés de l’Etat notamment ceux du MATD soient d’importants leviers pour impulser cette dynamique. En effet, les Collectivités malgaches brillent également par leur dispersion, leur enclavement ou le déficit de formation et d’information. Elles sont donc bien souvent redevables des actions souveraines de l’Etat ou d’un PTF pour avoir la pleine mesure des opportunités que la décentralisation met à leurs dispositions. C’est donc dans cette dernière optique que doit s’inscrire le rôle des services centraux et déconcentrés de l’Etat.
Si les impacts d’une telle démarche sur le développement local et la maturité institutionnelle des CTD semblent évidents, il n’en demeure pas moins que de telles initiatives possèdent également un fort potentiel politique dont l’exploitation ne peut qu’à terme profiter au « 8ème continent »[16].
TCHEGHO Willy Brice
Consultant Gouvernance Locale EED
Membre Codea
[1] Les textes régissant les Collectivités territoriales malgaches notamment la Loi N°94-008 du 26 avril 1995 fixant les règles relatives à l’organisation, au fonctionnement et aux attributions des CTD font allusion à d’éventuelles relations intercommunales sans en préciser le caractère infra ou international de ce type de relation. Les Collectivités Territoriales malgaches étaient donc bien souvent arrimées aux textes régissant la coopération décentralisée dans les pays des collectivités partenaires pour peu ces textes ne présentaient pas de contradiction avec ceux régissant la décentralisation à Madagascar. Cette situation présentait entre autres comme inconvénient, une participation réelle assez limitée et un faible pouvoir de décision des CTD malgaches au sein des actions de coopération décentralisée.
[2] Lors d’un Atelier sur la Coopération décentralisée organisée par le Ministère de l’Aménagement du Territoire et de la Décentralisation (MATD) malgache organisé en Mai 2010, le pays recensait déjà 51 Collectivités et 6 Agences de l’Eau françaises engagés dans des partenariats locaux dans 10 Régions de Madagascar. La Suisse, la Norvège et la Belgique sont également présentes en tant qu’acteur de la coopération décentralisée à Madagascar.
[3] La CNCD est l’instance de concertation entre les partenaires et les acteurs de la coopération décentralisée. Elle est chargée entre autres d’évaluer la coopération décentralisée et de formuler des recommandations susceptibles de favoriser son rayonnement. La DNCD est alors l’appareil fonctionnel de la DNCD, le dispositif exécutif de la Commission.
[4] Le décret parle des présidents d’Associations par niveau de Collectivités comme membres de l’Assemblée Générale de la CNCD (article 23). Il s’agit d’Association de Régions et d’Association de municipalités qui verront donc leur Présidents respectifs siéger au sein de la Commission.
[5] Il s’agit paradoxalement d’une des principales recommandations de l’Atelier sur la Coopération décentralisée mentionné plus haut. Une recommandation qui avait été formulée à l’endroit du MATD.
[6] Une des illustrations fortes de cette tendance est l’Accord de Cotonou qui consacre les CTD comme des acteurs de développement éligibles aux financements directs de l’Union Européenne.
[7] Une des recommandations de l’Atelier sur la Coopération Décentralisée à Madagascar notamment à l’endroit des partenaires (collectivités et organismes) étrangers partait d’un constat problématique : « la logique projet » qui se satisfait davantage des résultats infrastructurels au détriment des capacités d’absorption et d’appropriation des Collectivités territoriales bénéficiaires. Il était donc conseillé aux Partenaires Techniques et Financiers (PTF) la promotion de la maîtrise d’ouvrage communale ou régionale. La mise sur pied d’association de collectivités territoriales à vocation dédiée rentre évidement dans cette trajectoire ; elle permet de dynamiser des foyers de réflexion à l’échelle locale, d’identifier les besoins réels en comparaison avec les ressources disponibles. Elle permet également de renforcer le sentiment d’appartenance des élus locaux aux projets qu’ils portent à l’endroit des PTF.
[8] Effectivement, de plus en plus les bailleurs de fonds et autres partenaires au développement sont soucieux de la population et de la surface territoriale concernés par les projets de développement portés vers eux.
[9] Recommandation avait déjà été faite sur « la réforme et la redynamisation de l’Association des 22 Régions des Madagascar
[10] Recommandations de l’atelier sur la coopération décentralisée (2010) à l’endroit des CTD malgaches.
[11] Le Cameroun par exemple compte plus de 300 Communes organisées au sein de Communes et Villes Unis du Cameroun (CVUC). Cette association est elle-même subdivisé en 10 antennes régionales au sein des 10 Régions que compte le pays. Quant à la France, qui présente une véritable inflation de Communes (plus de 36000), on observe également une abondante présence d’associations de Communes à vocation thématique ainsi qu’une quasi-totale couverture du territoire nationale par des Etablissements Publics de Coopération Intercommunales (EPCI) ; ce qui permet d’adoucir la densité de leur associations de municipalités (près de 36000 membres) notamment lors de leurs différents congrès.
[12] De nouveaux partenariats entre régions malgaches et françaises (Vakinankaratra/Auvergne, Haute- Mahatsiatra/Bourgogne, Analanjirofo/Nord-Pas-de-Calais et Bretagne, Anosy/Bretagne) et, enfin, l’établissement de liens durables entre l’Association des régions de France (ARF) et la nouvelle Association des 22 régions de Madagascar (A22RM) qui ont été concrétisés par la signature d’une convention de coopération.
[13] Les bailleurs de fonds à l’instar de l’UE privilégient désormais orienter leur appui vers des projets et programmes préalablement initiés, portés et conduits par des acteurs locaux.
[14] CGLUA est une organisation internationale panafricaine et elle est la branche régionale des Cités et Gouvernements Locaux Unis (CGLU) dont elle est par ailleurs membre fondatrice. Le Secrétaire Général est Monsieur Jean Pierre ELONG MBASSI et les modalités d’adhésion aux CGLUA sont disponibles sur le site internet de l’Organisme : http://www.uclga.org/pages/homepage/?language=FR&Id=1
[15] Pour accéder au site d’Africités : www.africites.org
[16] Si Madagascar est suspendu de l’Union Africaine, il est fort à parier que de solides institutions politiques locales qui s’affirment au niveau international ne peuvent que contribuer au retour triomphant de l’Ile au sein de l’Organisation continentale. L’exemple du Maroc est assez illustratif. Le pays s’est en effet retiré de l’Union Africaine mais s’est vu quand même confier le siège abritant l’organisation des CGLUA notamment grâce à ses avancées remarquables en termes de décentralisation et de gouvernance locale.